« L’appel du 15 juin » de l’archevêque de Tours

Dans une tribune publiée dans La Croix le 15 juin dernier, Vincent Jordy , archevêque de Tours et lointain successeur de l’Apôtre des Gaules, saint Martin, a appelé les catholiques de France à sortir de leur bulle et à se porter davantage à la hauteur des enjeux humains apparus notamment pendant la crise sanitaire: à savoir se mobiliser contre la déshumanisation de la mort dans notre société.
La comparaison entre cette tribune et l’appel historique du 18 juin 1940, toute proportion gardée bien sûr, est possible.
En juin 1940, un inconnu nommé de Gaulle se révèle en prophète du réel. Il part en effet des réalités dramatiques que traverse son pays, pour se projeter avec beaucoup de réalisme dans un futur meilleur. Ce faisant il appelle ses compatriotes abasourdis par la défaite, défaits par le pessimisme, à relever la tête et à renouer avec un principe, celui de l’espérance.
En juin 2020, un évêque faisant peu parler de lui, dresse dans un article argumenté et nuancé un constat réaliste sur l’attitude des catholiques français pendant la crise sanitaire: il déplore une « mobilisation d’énergie pour le retour du culte et le peu d’investissement dans ce qui pourrait sembler un enjeu bien plus considérable: en effet , qu’est-ce que le jeûne eucharistique à côté du drame de tant de personnes qui, malgré le dévouement des soignants, ont dû affronter la mort dans la solitude, sans le soutien de leur famille, de leur Eglise, dans les hôpitaux, les Ehpad? Qu’est ce que la déshumanisation de la mort alors que la manière de traiter les morts est un des signes majeurs qui fonde et qualifie l’humanité? »
On aurait pu dire la même chose sur le surinvestissement des catholiques français sur les questions sociétales et bioéthiques comparé à leur réaction plus faible ou moins démonstrative par rapport à la cause des victimes de la crise migratoire mondiale que le pape François a pourtant placé parmi les priorités actuelles de l'Eglise catholique.
La vertu de la déclaration de Vincent Jordy est d’encourager les catholiques à sortir leurs têtes de leur marigot, à regarder "plus loin que le bout de leur nez" et à épouser de nouveau cette grande querelle évangélique qui consiste à être d’abord chrétien pour les autres, pour les faibles, pour les victimes et à quitter un entre-soi pour le moins anti-missionnaire et quelque peu mortifère à terme. Ce faisant aussi, Vincent Jordy réactive un message crucial de Jésus qui certes n’enlève rien au caractère mémoriel essentiel du sacrement de l’Eucharistie qu’il a institué, mais qui ne diminue pas moins la primauté du sacrement du frère tel qu’il est énoncé dans le discours sur la montagne: « j’avais faim, et vous m’avez donné à manger; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli; j’étais nu, et vous m’avez habillé; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi!” (Matthieu, 25)
Enfin, cette déclaration de Vincent Jordy tranche avec l’impression qu’a pu donner l’Eglise de France, ces dernières semaines, de privilégier son intérêt propre à celui de la communauté française tout entière dont elle est une des composantes. En centrant son propos sur les fins dernières, qui font l’objet de grandes confusions dans notre société déboussolée, l’archevêque de Tours, répond non seulement au désarroi de beaucoup de nos contemporains, mais il replace l’Eglise sur un terrain fondamental - celui des valeurs suprêmes et du bien commun - qu’elle devrait ne plus quitter pour rester audible et fiable dans une société laïque et pluraliste. Non pas en occupant ce terrain en détentrice de la vérité, mais en cheminant avec ses contemporains avec l’empathie et la compréhension qu’ils méritent dans une période troublée de l’histoire. Ce travail sur les fins dernières est capital pour l’avenir de la condition humaine: déjà en 1968, André Malraux, prophétisait sur « notre civilisation, qui n'a su construire ni un temple ni un tombeau, et qui peut tout enseigner, sauf à devenir un homme »
Si donc le culte est nécessaire pour entretenir la flamme de l’espérance d’une communauté, faire mémoire et raffermir les liens entre les membres d’une même famille spirituelle, il n’en est pas moins essentiel, comme l’exprime Vincent Jordy dans son « appel du 15 juin » , et comme l’a martelé le pape François tout au long de la période de confinement, que l’honneur et le devoir primordiaux des catholiques aujourd’hui est d’être témoins de l’universel. Les chrétiens ont vocation a être des urgentistes de la vie et des facilitateurs d’espérance quand rôdent la mort, le fatalisme et la peur dans la société dont ils sont partenaires. Dans notre histoire tragique, les chrétiens sont appelés à être des prophètes du réel.

Michel COOL